atelier d'écriture pour enfants de maternelle

Ateliers d’écriture en maternelle et avant : ah ben oui mais comment ?

Mar 15, 2017 | Ateliers, Outils d'écriture | 16 commentaires

J’en avais parlé dans mon post précédent, j’étais la semaine dernière en Normandie, à Pirou, pour animer des ateliers d’écriture pendant le festival Pirouésie n’hiberne pas, Pirouésie hiversifie… C’était l’occasion pour moi de tester les ateliers avec les tout-petits. Une chouette balade dépaysante au bord du langage et de l’imaginaire des enfants jusqu’à 6 ans, hop, je vous raconte !

NB : si des PE passent par là (bonjour :)), tout ceci est sans doute votre quotidien et vous paraîtra peut-être banal… c’est plutôt un récit d’expérience du point de vue de quelqu’un (moi ;)) qui n’avait jamais passé une matinée entière dans une classe avec des si petits et qui ne s’était jamais dit qu’on pouvait déjà y faire de la poésie…

Le sac à livres

J’avais emmené avec moi en #travadrouille un grand sac en tissu dans lequel j’avais glissé une quinzaine d’albums jeunesse (une certaine conception du voyage léger que je prône habituellement !) qui allait me suivre toute la semaine : je n’avais pas eu le temps d’opérer une sélection avant de partir car je ne savais pas encore tout à fait ce que j’en ferais ni ce qui m’attendait, et puis… quand il s’agit de livres, je préfère avoir trop que pas assez !

Entrée dans le monde de la petite enfance

Lundi matin, drache immonde sur la Normandie — ah, ce n’était donc pas qu’à Bruxelles ? Mon sacàlivres et moi sommes déposés par mon chauffeur attitré (!) devant un Lieu d’Accueil Enfants Parents. Je découvre ce monde où on doit mettre des sur-chaussures… Charmant, ce plastique bleu, petite touche de déguisement avant Mardi Gras :)… sur-chaussures pour entrer dans la salle où viennent les enfants… mais qui peut-être aujourd’hui ne viendront pas, m’expliquent les responsables, parce que le temps donne plutôt envie de rester chez soi… Et en effet, les minutes passent, j’ai le temps de colorier mes flashcards que j’avais prévu de laisser en noir et blanc, de zyeuter les livres en stock avant qu’UNE enfant arrive, la seule de la matinée. Une petite de dix-sept mois qui ne dit environ… rien, mais qui fait plein de grimaces pour faire rire les adultes (ce qui fonctionne très bien). Évidemment, dans ces conditions, l’atelier d’écriture est difficile ; nous feuilletons tout de même un beau livre rond, Vélo — La chanson de Marius, texte de la chanson de Bénabar que j’adore, et construisons puis détruisons quelques tours en Kapla.

L’avantage, c’est que mon entrée dans le monde de la petite enfance s’est faite en douceur, j’ai eu le temps de me dire que les chaises étaient vraiment basses, les enfants vraiment minuscules, la motricité pas vraiment fine ! Avantage aussi, pas de besoin impérieux de faire une sieste l’après-midi pour me remettre de mes émotions, et je peux donc passer plus de temps à penser aux autres ateliers de la semaine.

En piste !

Mardi matin, cette fois, plus question de reculer, je suis accueillie dans une classe de TPS-PS-MS, il y aura for-cé-ment des enfants, ohlala, semblant de panique à bord, respire, respire encore, ça va aller ça va aller, dédramatise, les parents doivent bien se douter qu’elleux ne vont pas écrire des sonnets ! Une personne me conduit à la salle, toque, me souhaite une bonne matinée et s’en va. La porte s’ouvre et là, 23 paires de yeux braquées sur moi dans un silence total alors que Servane et Nathalie me saluent et me souhaitent la bienvenue. Jamais le temps d’enlever mon manteau, mon écharpe, mes sacs, ne m’a paru aussi long. Les enfants me regardent avec attention — voire insistance, j’ai l’impression qu’aucun de mes gestes ne leur échappe. Moi je laisse échapper mon carnet, mon stylo, des livres, vite vite se calmer, vite vite commencer.

J’avais passé une partie de mon dimanche après-midi à regarder des vidéos sur Youtube. Procrastination, vous dites-vous ? Pas du tout ! Veille sociologique plutôt : j’avais cherché des vidéos d’animations en crèche, de parents admiratifs, de représentations de fin d’année chez les 2–3 ans pour me rendre compte : à cet âge-là, à quoi ça ressemble, un enfant ? J’en avais déduit qu’il ne fallait pas que je m’inquiète si je les voyais faire toutes sortes de gestes étranges pendant mes lectures (comme là 🙂

… ou si certain.e.s me répondaient « même que des fois, moi, je vomis » à ma question sur ce qui est vert dans la vie (quoique, l’exemple est peut-être mal choisi.)

Le pouvoir des histoires

On en arrive à la question cruciale… Que fait-on en « atelier d’écriture poétique » avec des enfants de 2 à 4 ans et demi ? Après avoir proclamé que je serais leur assistante, et que j’écrirais à leur place leurs propres mots (excitation palpable dans la classe), je leur ai demandé si elleux aimaient les histoires (question rhétorique)…

Si j’anime des ateliers d’écriture dans la vie, c’est bien (entre autres) pour avoir un espace où partager des livres aimés, des découvertes de mots et d’images, et les enfants n’allaient pas y échapper !

Des flashcards d’animaux nous ont permis de faire le point sur les personnages de l’album Quand je serai grande, de Jean Maubille, que je m’apprêtais à leur lire. Je me suis souvenue en le faisant dans la semaine que dans une autre vie où j’avais enseigné l’anglais à des 5–6 ans, le guide pédagogique de la méthode que j’utilisais encourageait à dévoiler les images petit à petit : les cornes de la girafe sont peut-être d’abord ainsi un papillon ? Faire des hypothèses, les vérifier, les corriger… La démarche scientifique avant l’heure ! Et l’euphorie des enfants quand elleux trouvent la bonne réponse !

Avant la lecture, j’ai pris l’habitude de prononcer ces quelques vers, une formulette de lecture trouvée sur Internet pour capter l’attention des enfants. Silence, silence / Le coq chante la poule danse / La queue du chat se balance / Et mon histoire… commence ! Petits yeux soudainement grands, bouches légèrement entrouvertes, concentration totale, je peux démarrer.

Après la lecture de Quand je serai grande, nous réfléchissons à ce que nous voudrions être, nous aussi, grand.e.s, ce qui donne lieu à un premier texte que je leur relis ensuite. Nous en écrivons un deuxième sur ce que nous voudrions faire, aussi. Je vous le partage ici :

Quand je serai grand.e, je voudrais
cuisiner et réparer des voitures et faire la vaisselle,
réparer des motos et des quads,
faire des saucisses et de la purée avec maman,
cuisiner avec maman,
pousser la poussette avec un bébé,
je voudrais être un pirate pour accrocher les requins,
mais moi, je veux rester petit.

« On peut tout inventer »

La concentration des enfants faiblit et je propose donc de passer à une chanson-jeu qui va nous permettre d’écrire un autre poème. C’est une chanson sur les couleurs, dans laquelle les enfants se promènent dans la classe et à la fin de la comptine, doivent toucher quelque chose de la couleur qui a été évoquée. Pas évident pour les TPS ! Quand chaque enfant a trouvé… on se demande : qu’est-ce qu’on touche, exactement ? Et une fois qu’on a énuméré plusieurs des choses trouvées, on ferme les yeux, on imagine qu’on sort de la classe et on se demande : à l’extérieur, qu’est-ce qui est aussi de cette couleur-là ? Et dans notre chambre ? Et dans nos assiettes ?

Jaune comme une feuille, un cahier, un crayon, une perle, une règle, le bac,
Jaune comme la poésie, le soleil, les nuages, une girafe, une banane et des crêpes.
Non, c’est pas vrai, les crêpes, elles sont vertes !
Vert comme la tortue, le crocodile, la plaque des Duplo, le tracteur, une assiette, une pièce de puzzle,
Vert comme les arbres, l’herbe, les feuilles, la salade mais moi j’en mange pas.

Elle pose question aux enfants, cette phrase sur les crêpes qui « sont vertes » comme s’est écriée une petite, « mais nooooooon » font tou.te.s les autres en chœur.

Et c’est là qu’on découvre la magie de la poésie : en poésie, on peut imaginer tout ce qu’on veut, on peut dire que les crêpes ont des couleurs bizarres et qu’on a des super-pouvoirs, on peut tout inventer, surtout l’impossible. Alors on se met à réfléchir et à écrire un poème sur la vie des nuages. C’est vrai, ça, après tout : les nuages, qu’est-ce qu’ils font de leur journée ? La drache de la veille s’est calmée mais le ciel est bien encombré.

Les nuages volent très très loin.
Ils partent dans leur maison bleue.
La maison des nuages est grande et petite en même temps.
Parfois, les nuages font du soleil.
Les nuages se lèvent, prennent leur petit-déjeuner et boivent du lait blanc ou du jus d’orange. On ne sait pas… On va leur demander !

Encore quelques histoires, encore un texte, et c’est l’heure d’aller manger… Je quitte les enfants en leur disant cette formulette, à laquelle j’ai pensé pendant la récré : Patati patata / Mon atelier s’arrête là / Patati patata / Mais la poésie ne s’arrête pas ! Je fonds pas mal en les entendant (essayer de) répéter la même chose, en transformant « mon » en « ton atelier »…

Je viens de les quitter, j’ai déjà envie d’y retourner…

Ce qu’il y a dans la tête des autres

Pendant la semaine, j’interviens aussi deux fois dans des classes d’enfants qui, du coup, me paraissent gigantesques puisqu’elleux ont… 5 et 6 ans !!! Je dois quand même me reprendre pour me souvenir qu’en fait, si elleux sont certes plus grand.e.s que les 2–3 ans, elleux ne savent pas encore (vraiment) écrire et que, ne nous emballons pas trop non plus, les sonnets ce sera pour une autre fois ! 🙂

Ça tombe bien, j’ai encore plein d’histoires que je n’ai pas partagées.

Même formulette de lecture (à quel âge s’arrête-t-elle de fonctionner ?), même attention vers les pages que je tiens entre les mains. Cette fois, je lis l’histoire de Selma, de Jutta Bauer, la brebis à qui on demande ce qu’est le bonheur (manger, parler avec ses enfants et son amie, faire du sport, dormir), ce qu’elle ferait si elle avait plus de temps (manger, parler avec ses enfants et son amie, faire du sport, dormir) et si elle gagnait au loto (manger, parler avec ses enfants… bref, vous avez saisi l’idée). C’est le genre de livres qui laissent les enfants perplexes, moi j’adore !

On discute donc du fait que le bonheur, ce n’est pas la même chose pour les un.e.s et pour les autres – et en passant, c’est ça la joie profonde du cours ou de l’atelier, découvrir ce qui se passe dans la tête des autres, leurs pensées et leurs imaginaires, et les faire cohabiter avec les nôtres – on a décidé de vous écrire un poème de définition (au cas où vous vous demandiez, vous, ce que c’était, le bonheur) :

Qu’est-ce que le bonheur ?
Le bonheur, c’est qu’on est content et qu’on se réveille de bonne heure et de bonne humeur.
Le bonheur, c’est de manger des bonbons, des spaghettis, du steak haché et du saucisson…
Le bonheur, c’est de sourire et d’avoir mille cent quarante sous.
Le bonheur, c’est être content d’aller quelque part : au zoo, au manège, à la piscine, au cinéma, au cirque et à la patinoire.
Le bonheur, c’est d’aller en vacances en Chine ou aux Canaries et en Guadeloupe…
Le bonheur, c’est d’être avec ses copines, ses copains, ses sœurs, ses frères, ses cousines et ses cousins.
Le bonheur, c’est d’aller chez le coiffeur.

On lit aussi Préfèrerais-tu ?, de John Burningham, livre drôle qui pousse les enfants à faire des choix plus impossibles les uns que les autres (préfèrerais-tu… manger du ragoût d’araignée, des boulettes de limace, de la purée d’asticots ou boire du jus d’escargot ?), ce qui les fait beaucoup rire et nous permet de travailler un peu la notion de rimes.

Et puis je leur lis un de mes albums préférés, Le livre des peut-être, superbe support en FLE aussi… J’avais préparé quelques questions existentielles que j’avais sur le monde pour leur proposer d’y trouver des réponses.

Comme chez les tout.es petit.e.s, la prise de conscience que l’on peut « imaginer » n’est pas évidente… Les enfants commencent toujours par me donner de vrais éléments d’explications… avant de comprendre où je veux les emmener. Pas facile de se mettre à dire « n’importe quoi » dans un lieu où on doit plutôt, en général, donner une réponse juste ! « C’est vrai que si on dit au maître que 8 + 6, ça fait 15, on imagine, mais il ne va pas être content ! »

livre-peut-etre_barbe a papy_atelier ecriture

Peut-être que les plantes poussent pour aller embrasser le soleil, ou pour visiter l’espace.
Peut-être que si on arrosait les roses avec du jus d’orange, ça ferait des roses orange.
Peut-être que les escargots bavent parce qu’ils sont toujours des bébés.
Peut-être que la pluie tombe parce que les dieux renversent des bouteilles d’eau sur nous quand c’est inondé chez eux.

Je finis par leur conter une histoire en origami pour montrer que la poésie n’est pas que dans les livres, elle est partout, dans la feuille qui s’agite entre les mains aussi, et qui se fait couronne, canard, renard et otarie… À peine ai-je fini de la raconter qu’un enfant s’écrie : « Tu peux nous la relire ? » et j’aime l’utilisation de ce verbe, on a lu sans livre, on a écrit sans avoir touché le stylo. Elleux sont ravi.e.s du résultat, « Wahouuu, on a écrit tout ça !! ».

RAM, RAM, rameur, ramer…

J’ai rendez-vous au RAM (Relais d’Assistantes Maternelles) le jeudi matin pour une animation de 45′ avec des enfants de… (toujours plus loin dans le défi) 5 mois à 2 ans et demi ! Le lieu accueille donc les assistantes maternelles avec les enfants dont elles ont la garde pour un moment d’échange, de jeu, de rencontre…


Rame, rame, rameur, ramer… Avant d’arriver, c’est la chanson que j’ai en tête. Que peut-on faire de poétique avec des bouts de chou de cet âge-là ? Où se trouve la poésie quand on n’a pas encore le langage ? Finalement, la poésie pour moi, pendant cette séance, c’est la voir dans le bel album Mercredi, d’Anne Bertier, où le rond et le carré forment des dessins ensemble, dans les comptines qu’on répète en changeant sa voix à chaque fois, dans le regard qu’on pose sur le monde pour y chercher des couleurs, dans les intonations à la lecture d’une histoire, dans les onomatopées qui font des bruits bizarres…

 

Je me rends compte que des moments avec des enfants de cet âge-là, j’en aimerais bien plus dans mes semaines, que c’était une nouvelle manière pour moi de me confronter au monde et de ne jamais me reposer sur mes acquis, une petite main glissée dans la mienne et un tu reviens cet après-midi ?

Animateur.rice.s, enseignant.e.s, avez-vous déjà fait des ateliers d’écriture avec des tout-petits ? Qu’y avez-vous proposé, qu’avez-vous appris ?